Certaines danses naissent pour divertir. D’autres pour exister. Le C-Walk n’est pas une danse, c’est une déclaration.
Né dans les ruelles brûlantes de Compton, ce mouvement n’a jamais eu la prétention d’amuser. Il était un code, un cri, un marquage de territoire dans un monde où il fallait prouver sa présence pour ne pas disparaître. Mais la culture, surtout celle issue de la rue, ne reste jamais figée. Ce qui était une signature de survie est devenu un emblème de puissance, un symbole que l’on danse autant qu’on l’affirme.
Alors quand Serena Williams, la plus grande athlète de tous les temps (et oui, ne me parlez pas de Federer ou de Jordan, on sait), esquisse quelques pas de C-Walk lors du Super Bowl 2025, ce n’est pas juste un moment viral. C’est l’histoire qui s’écrit sous nos yeux.
Le C-Walk naît dans les années 1970 sous les pieds de jeunes hommes qui n’avaient d’autres armes que leur rythme. Chaque pas traçait sur le bitume un message invisible destiné aux initiés. On ne parlait pas, on dansait. On n’expliquait pas, on laissait les pieds dicter l’histoire.
Puis, comme tout ce que la rue invente et qui a trop d’âme pour être contenu, le C-Walk s’échappe des ghettos. Snoop Dogg, Ice-T, DJ Quik… La West Coast s’en empare, le hip-hop le sublime, et bientôt, ce qui n’était qu’un dialecte secret devient un langage universel.
Mais bien sûr, les gardiens de la morale veillent. Dans les années 2000, MTV hésite à le diffuser, certaines écoles américaines l’interdisent, des ligues sportives sanctionnent les joueurs qui osent le danser après un touchdown. On craint ce qu’on ne comprend pas. Sauf que la rue, elle, ne demande pas la permission.
Le C-Walk ne disparaît pas, il mute. Il devient un instrument de performance, s’impose dans les battles, s’invite sur les podiums des compétitions internationales. Il traverse l’Atlantique, s’imprègne du Krump, du Popping, du Hip-Hop Freestyle, et impose un fait : ce qui est né de l’urgence ne meurt jamais.
Seulement, ce dimanche 9 février 2025, lancement du Super Bowl dans la Nouvelle-Orléans.
Sur scène, Kendrick Lamar livre une performance brute, authentique, un rappel que le hip-hop ne s’embourgeoise pas sans combattre. Lorsqu’il entame Not Like Us, un morceau chargé d’histoire et de règlements de comptes, une silhouette s’avance sur scène. Serena Williams. Majestueuse. Légende vivante. Armée de son aura et d’un simple pas de danse.
Elle exécute un C-Walk parfaitement maîtrisé. Pas de trop, pas d’hésitation. Juste la précision de ceux qui savent que l’instant qu’ils créent est historique.
Est-ce un simple clin d’œil ? Une réponse à Drake, son ex, que ce morceau assassine ouvertement ? Ou plus grand encore ? Dans tous les cas, notre audacieuse Serena n’accompagne pas l’histoire. Elle l’écrit.
Celle, qui a dû briser les codes et les stéréotypes, celle qui a imposé sa puissance sur des courts qui n’étaient pas faits pour elle, celle là même, nous a offert ce moment une résonance bien plus grande que le clash rapologique du moment.
C’est l’histoire d’une femme noire, née dans un monde qui ne voulait pas d’elle, prenant possession du plus grand show du monde avec un simple mouvement de pieds.
Le public exulte. Internet explose. Mais pour ceux qui comprennent les codes, ce n’est pas juste viral. C’est un héritage qui s’imprime.
Et si le C-Walk, dans sa force d’expression, trouvait un écho ailleurs ? Si, à des milliers de kilomètres de Compton, une autre culture avait donné naissance à une révolte dansée, un cri du corps contre l’injustice ?
Le Zouglou, né dans les années 1990 en Côte d’Ivoire, est cette réponse. Porté par la jeunesse universitaire d’Abidjan, ce genre musical n’a jamais été une simple bande-son. C’était une dénonciation. Un manifeste. Un moyen de dire au pouvoir que l’on ne pliera pas, que la rue a aussi une voix.
Tout comme le C-Walk, le Zouglou transforme le corps en message collectif. Chaque mouvement syncopé, chaque pas lâché dans la poussière rouge des quartiers populaires, est une prise de parole.
Aujourd’hui, ces deux formes d’expression ont dépassé leurs contextes d’origine.
Le C-Walk est devenu un symbole de la culture pop mondiale. Le Zouglou, jadis musique contestataire, est devenu l’un des plus grands ambassadeurs de l’identité ivoirienne.
Parce que la rue n’est jamais silencieuse.
Parce que la danse, quand elle est portée par l’histoire, devient révolution.
Que ceux qui pensent que la danse n’est qu’un divertissement aillent demander aux générations passées ce que ça fait de devoir se battre pour simplement exister.
Que ceux qui voient dans le C-Walk un simple jeu de pieds ou dans le Zouglou un simple déhanché, aillent lire l’histoire de ceux qui ont utilisé le mouvement pour crier ce qu’on leur refusait de dire.
Et que ceux qui, comme nous, savent que le corps est un langage, continuent de danser pour ne jamais être effacés.Parce que le Super Bowl 2025 n’a pas seulement été un spectacle. Il a été un rappel : la rue a toujours le dernier mot.
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