Une petite voix me chuchote que le futur de la mode Made in Africa sera vert ou ne sera pas ! Le green lifestyle est inscrit dans l’ADN du continent, malgré ce que certaines mégapoles africaines peuvent laisser penser. La plupart des nouveaux réflexes écolos, en vogue aujourd’hui, trouvent leurs racines dans ce qui est un mode de vie habituel ici. Car, depuis des siècles, du Nord au Sud de l’Afrique, le travail du textile est une source d’inspiration infinie et des milliers de tissus, divers et variés, sont faits à la main à partir de fibres et teintures naturelles. N’importe quel styliste ou tailleur est au fait de l’upcycling, qui, dans certaines langues locales, ne porte d’ailleurs pas de nom spécifique car la récup’ est liée au quotidien, au métier, voire à une philosophie de vie.
Partout sur la planète, nous pouvons nous approprier cette phrase : « Je suis l’héritage de la mode africaine » car nous portons, parfois sans le savoir, quelque chose dont l’influence, la technique, la matière, ou la forme est directement inspirée de l’Afrique. Par exemple, c’est grâce à la souplesse de l’élasthanne ou du lycra, ces fibres élastiques issues du caoutchouc synthétique, que nous nous sentons confortables dans nos vêtements ; même ceux dont les tissus sont originellement raides. Mais ces fibres élastiques auraient-elles existé sans le caoutchouc naturel de l’épaisse forêt équatoriale du Congo ?
La toile de nos jeans semble familière à plus d’un et il y a une raison : Elle s’est appelée Indigo, du nom de l’indigotier, petit arbuste tropical. Elle sera rebaptisée denim, de Nîmes ; ville où Levi Strauss lui fera prendre son envol pour l’Amérique. Son lien de filiation à d’autres textiles originaires d’Afrique de l’Ouest saute aux yeux. Certains tissus en coton ou lin maliens, pour ne citer qu’eux. Ou encore le ndop, que l’on retrouve au Nigéria et au Nord du Cameroun, ne laissent planer quant à eux aucun doute sur leur filiation.
Nombre de tisserands se lancent dans la confection de tissus inspirés de ces toiles traditionnelles, mettant de côté les symboles spirituels ou rituels. Ces derniers suscitent la polémique : Ils sont majoritairement liés à des récits décrivant la création du monde, les dieux et se portent lors de cérémonies telles que les rituels, mariages, naissances, circoncisions, excisions ou encore les funérailles. Certains d’entre eux sont même détruits ou enterrés après usage. Le Laboratorio Art Contemporains, au Bénin, propose, lui, des motifs neutres. Il effectue également un précieux travail de référencement et d’archivage des dessins dits sacrés ; ainsi que de leur usage détaillé lors des différentes cérémonies. C’est un travail de mémoire patient, et indispensable, qui aidera les personnes originaires de ces régions à mieux comprendre leurs origines.
Des stylistes tel que Defustel 1974, l’homme qui habille quelques présidents africains se sont laissés séduire. Le journaliste Harry Roselmack a quant à lui craqué pour la nouvelle version du ndop. Et il n’est pas le seul. Les célébrités et créateurs adoptent de plus en plus la tendance en référence ou clin d’œil à leurs origines.
Amina Dubrecq El Oumrany, styliste belge, malienne et congolaise, a créé Kumi en renouant avec ses racines paternelles au Mali. Elle travaille main dans la main avec des teinturiers de Bamako, créant des motifs uniques de manière traditionnelle. Les teinturiers associent teintures naturelles et chimiques ; ill lui fallait agir avant d’être en mesure de développer de nouvelles solutions. Elle a donc investi, au bout d’un an, dans un système d’épuration des eaux usées.
Sikoti, créatrice camerounaise derrière la marque Sokolata, première marque 100% réalisée en Afrique, a trouvé au Sénégal la terre d’accueil de son projet. De la plantation du coton bio, qu’elle utilise, en passant par le tissage puis la fabrication, tout est conçu localement.La créatrice, ancienne acheteuse aux Galeries Lafayettes a bien ficelé son projet et travaille désormais en collaboration avec la designer textile sénégalaise Johanna Bramble. Pour elle, dépasse l’écologie. Il s’agit de cohérence, de logique, de création d’emplois et d’idéaux.
L’une des fiertés de la Côte d’Ivoire, la marque Kente Gentlemen ; derrière laquelle se cache Aristide, styliste récemment primé aux Africa Fashion Up à Paris, définit sa marque comme ayant « une approche contemporaine, éthique et cool de la mode ». Et c’est d’ailleurs ce qui rend ses costumes et tailleurs en kente incroyables ! Quant à la marocaine Mina Binebine, elle a choisi de tout faire fabriquer localement, au plus près de sa boutique. Si la tradition textile du pays n’est plus à faire, ce choix a bien des avantages pour une jeune marque : elle s’inscrit dans une histoire, dans une identité et véhicule une fierté.
Soyons réalistes, mise à part Asantii, peu de marques disposent d’une usine, des infrastructures adéquates. Mais elles relèvent toutes, d’une manière ou d’une autre, les défis de leur héritage textile et historique. Oui, c’est un défi de travailler des tissus tels le ndop, supportant mal le passage à l’industrialisation. C’en est un autre de standardiser la qualité des tissus ; difficulté que rencontre d’ailleurs le faso dan fani, premier tissu du continent à avoir été labellisé et autour duquel les politiques et artisans peinent à s’accorder pour gérer une organisation chargée du respect des standards de production ; suite à une décision politique stipulant que tous les uniformes scolaires se feraient désormais en faso dan fani. Quarante ans après, le rêve du visionnaire Sankara prend forme et cela demande de relever les défis d’un développement raisonnable.
Histoire, politique et écologie se retrouvent liées. Si le continent s’est lancé dans une course pour habiller sa population, il lui faut aussi faire face aux dégâts écologiques que la surproduction mondiale entraîne ; les rebuts du monde entier y étant déversés sous la forme de ballots de vêtements usagés, ça et là, polluant les eaux et le sous-sol en créant des montagnes artificielles par endroits.
Si « Je suis l’héritage de la mode africaine », dont des sources écrites parlaient déjà au IV ème siècle, les décisions politiques seront le futur de cet héritage. Un futur qui ne peut se bâtir qu’en embrassant pleinement un retour au respect de la terre, de son rythme, des techniques et cultures de ceux qui nous ont précédés. Cela ne signifie nier ou refuser de prendre en compte les réalités quotidiennes de la population. Bien au contraire, nous avons là les outils pour ne pas la rendre malade en les habillant.